Garder la tête froide, contre vents et marées
L’année 2023 n’a pas été de tout repos pour les épargnants, notamment avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Que fait-on avec son régime enregistré d’épargne-retraite (REER) dans les circonstances ? Doit-on changer de plan ou plutôt maintenir le cap malgré les soubresauts économiques ? Trois experts tentent de répondre à ce grand questionnement.
Parution : 4 février 2024, La Presse, Émilie Laperrière
Photo de Sylvain De Champlain : Charles William Pelletier, collaboration spéciale
L’inflation bouscule les plans des Québécois. Selon un sondage réalisé à la fin de 2022 par l’Institut de planification financière, près de la moitié des Québécois ont affirmé avoir changé leurs objectifs financiers, et les deux tiers, leurs habitudes de consommation. Pas moins de 53 % des répondants ont aussi indiqué avoir vécu un niveau de stress plus important en raison de l’augmentation considérable du coût de la vie.
La situation économique crée « des angoisses et des enjeux », reconnaît Carl Thibeault, vice-président principal, Québec et Atlantique, chez IG Gestion de patrimoine.
Sylvain De Champlain, président de De Champlain Groupe financier, estime qu’il faut relativiser. « Oui, l’année dernière a été pénible avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Mais les marchés boursiers ont connu un rebond exceptionnel, au-delà des prévisions », souligne-t-il.
Un portefeuille équilibré a ainsi généré des rendements autour de 10 % tandis qu’un profil de croissance a donné entre 15 % et 17 % de rendements.
L’épargne tire son épingle du jeu
François Martel, vice-président régional, planification financière, à la BMO, abonde dans le même sens. « Le volet épargne a été très performant en 2023. Les taux d’intérêt sur les placements garantis et les obligations n’ont jamais été aussi élevés depuis environ 15 ans. Le marché boursier s’est aussi stabilisé. » Pas de raison, donc, de paniquer.
Sylvain De Champlain ajoute que les risques de récession sont « minimes » cette année. « On devrait voir une baisse des taux d’intérêt au cours de l’été. Même chose pour le taux directeur des banques centrales. Cela aura un impact positif, notamment sur les obligations. » Les actions devraient également connaître une bonne croissance.
Établir un plan (et s’y tenir)
En période de turbulences, il conseille d’établir ou de revoir son profil d’investisseur. « L’important, c’est de déterminer sa tolérance au risque », estime Sylvain De Champlain.
Il faut ensuite mettre en place un plan d’action. Comme c’est souvent le cas, il n’y a pas de recette miracle qui s’applique à tous. Tout dépend de nos objectifs et de nos dépenses.
« Une fois les buts établis, il faut voir de quel véhicule de placement on a besoin pour les atteindre, et combien de temps – réalistement ! – on aura besoin pour y arriver. »
Carl Thibeault, vice-président principal, Québec et Atlantique, chez IG Gestion de patrimoine
Si on est âgé de 35 à 45 ans, par exemple, il reste au moins 20 ans pour épargner en vue de la retraite. « Il faut toutefois s’assurer de prendre en compte ses chiffres personnels, précise François Martel. On pourrait avoir le même âge et nécessiter un plan diamétralement opposé selon notre situation. Une grande voyageuse n’aura pas la même planification qu’un casanier. »
Carl Thibeault recommande fortement d’être accompagné d’un planificateur financier pour cette étape cruciale. « La force du conseiller, c’est la capacité de demeurer loin des émotions », estime-t-il.
Réduire le risque tranquillement
À la veille de la retraite, les experts suggèrent de diminuer le niveau de risque des placements, sans pour autant l’anéantir. Pour s’aider, François Martel, de BMO, rappelle une règle générale : notre âge devrait équivaloir à peu près au pourcentage de revenus fixes dans notre portefeuille.
« Les placements ne doivent pas prendre leur retraite en même temps que nous, note Carl Thibeault. Il est vrai qu’on doit se prévoir des sommes accessibles, mais une vaste portion du patrimoine servira à 67, 73 ou 85 ans. Ces dollars peuvent comporter plus de risques, en accord avec notre profil d’investisseur. »
Réviser
Si on n’a pas d’image fréquente de la situation, cela peut devenir insécurisant. C’est pourquoi Sylvain De Champlain conseille de réviser son plan une fois par année.
« On peut ainsi rééquilibrer son portefeuille. Par exemple, si des catégories d’actifs ont surperformé, ce serait sage de sécuriser une partie des profits ou de les investir dans d’autres catégories qui ont moins performé. »
Éviter les décisions émotives
Le plus difficile, selon les experts, reste de ne pas prendre de décisions émotives quand ça va mal. Mieux vaut revoir son budget, ajuster ses dépenses et trouver les moyens de réaliser ses objectifs que d’agir sur un coup de tête. « Les impacts des mauvais choix peuvent être importants », rappelle Carl Thibeault.
François Martel compare notre réaction aux fluctuations du marché à celles des prix à l’épicerie. « Quand la canne de thon baisse de 3 $ à 1,50 $, on en achète souvent plus pour faire des provisions. Pourtant, on fait le contraire avec les actions, déplore-t-il. Quand le marché monte, on achète parce qu’on croit que c’est bon signe. Et quand il descend, on s’abstient. »
Il faut plutôt revenir à la base : dresser un plan, le revoir régulièrement et s’y conformer. Et surtout, garder la tête froide.