Quand les femmes doivent travailler plus longtemps
Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à mettre leur carrière sur pause ou à travailler à temps partiel pour prendre soin des enfants ou d’un proche. Cela a toutefois un coût, notamment sur le niveau d’épargne.
Au bout du compte, il leur faudra parfois reporter leur départ à la retraite. Mais est-ce une fatalité ? Selon une étude, une femme qui cesse de travailler pendant six mois ou plus accumulera 43 % moins de richesse à ses 85 ans qu’une personne qui n’aurait pas quitté le marché du travail. Cette statistique éloquente illustre à quel point certains choix de vie peuvent faire dérailler ses plans…
Face à ce manque à gagner, plusieurs femmes doivent s’accommoder d’un niveau de vie moindre à la retraite, ou se résoudre à la reporter de quelques années afin d’améliorer leur sort.
Or, au fil du temps et du vieillissement, la prévalence de la plupart des maladies chroniques augmente. Certaines d’entre elles sont également plus fréquentes chez les femmes âgées, comme l’ostéoporose, la polyarthrite rhumatoïde, les troubles anxieux et la démence. Les femmes de moins de 75 ans sont aussi davantage susceptibles de souffrir de plusieurs maladies en même temps. Là encore, ces problèmes de santé risquent de peser lourd sur leurs finances. Enfin, elles ont également une espérance de vie prolongée, tant à la naissance (84,1 ans comparativement à 80,5 ans pour les hommes) qu’à l’âge de 65 ans (86,8 ans par rapport à 84,4 ans). Idéalement, il leur faudrait donc accumuler davantage d’épargne pour s’assurer une retraite confortable. Voici quelques pistes de réflexion pour aider les femmes à tirer leur épingle du jeu et à mettre en place des stratégies. Et les entreprises peuvent aussi mettre l’épaule à la roue !
« Malgré leurs réussites professionnelles et les gains financiers qui en découlent, elles font toujours face à plusieurs défis, notamment l’écart de revenu, car elles gagnent encore en moyenne moins que leurs homologues masculins. » — Amélie Laferrière
Des écarts à combler
Amélie Laferrière, CFA, directrice des ventes de produits de gestion de patrimoine à Sun Life, estime que malgré les progrès vers l’égalité, les femmes se heurtent souvent à des obstacles qui leur sont propres en matière de constitution de patrimoine. « Malgré leurs réussites professionnelles et les gains financiers qui en découlent, elles font toujours face à plusieurs défis, notamment l’écart de revenu, car elles gagnent encore en moyenne moins que leurs homologues masculins. À cela s’ajoutent les interruptions de carrière, parce qu’elles quittent souvent la vie active pour s’occuper de leurs enfants ou d’autres membres de la famille. En raison de leur espérance de vie plus longue, elles ont aussi besoin de davantage d’argent et doivent le faire fructifier plus longtemps », constate-t-elle.
D’où l’importance de commencer à épargner tôt et de miser sur le pouvoir des intérêts composés. Malheureusement, elle note que les femmes manquent encore de connaissances pour prendre de meilleures décisions financières pour elles-mêmes, car elles ne s’intéressent que peu ou pas à la finance.
Des pertes difficiles à quantifier
S’absenter du marché du travail pour s’occuper de ses enfants ou d’un proche malade, par exemple, aura nécessairement une incidence en termes de perte de salaire à court et à long terme. « Il y aura aussi diminution de l’épargne, ce qui retardera la retraite ou d’autres types de projets », souligne Philippe Guérin, planificateur financier, directeur, service de planification financière au Mouvement Desjardins.
Joannie Magnan, planificatrice financière, cheffe d’équipe, service de planification financière chez Desjardins, ajoute que certaines choses sont toutefois plus difficiles à quantifier. « On perd aussi des occasions professionnelles, des possibilités de promotion et, au bout du compte, c’est notre valeur sur le marché du travail qui en pâtit. En fait, il y a un prix à payer pour le renoncement. »
À intégrer dans vos prévisions
Selon les Normes d’hypothèses de projection de l’Institut de planification financière de 2023, pour un couple de 70 ans, la probabilité que l’un ou l’autre soit encore en vie à l’âge de 98 ans est de 25 %. La probabilité d’arriver à l’âge de 101 ans est de 10 %.
On devrait toujours produire une analyse de sensibilité (une projection avec un rendement moins favorable) afin d’illustrer les répercussions qu’un changement dans les hypothèses utilisées pourrait avoir sur l’évolution de la situation du client, particulièrement quand l’atteinte des objectifs pourrait être menacée.
Il est recommandé d’utiliser une période de projection où la probabilité de survie n’excède pas 25 %. Planifier pour une plus longue période de projection offre une protection contre une éventuelle augmentation de l’espérance de vie et contre le plus grand risque financier d’un individu : le risque de survie. Il est également recommandé d’utiliser le plus grand âge de mortalité qui correspond à la situation du client, à moins qu’il y ait suffisamment d’information indiquant qu’il faut ajuster le tir.
« On doit aussi travailler à mettre en place un plan de match pour atténuer les déséquilibres lorsque la femme quitte le marché du travail pendant un certain temps. » — Philippe Guérin
Bien que ce coût ne puisse pas être effacé, on peut toutefois l’atténuer, estime Philippe Guérin, en adaptant son coût de vie à ses revenus et ses objectifs.
« La première chose à faire est d’être consciente de ce à quoi on renonce, et trouver des façons de réussir à le récupérer au moins en partie et d’épargner », poursuit Joannie Magnan.
Une discussion ouverte avec le conjoint est un bon point de départ. « Il faudrait revoir la contribution de chacun aux dépenses du ménage. Si on était à 50-50 par exemple, on doit le réévaluer à la baisse », ajoute-t-elle.
« On devrait avoir ces discussions avec le conjoint quand ça va bien !, renchérit Amélie Laferrière. Lorsqu’on choisit de rester à la maison pour élever les enfants et que le partenaire subvient aux besoins de la famille, il faut réfléchir aux conséquences et avoir un plan de match. Si on est conjoints de fait, le contrat de vie commune permet de prévoir les répercussions en cas de séparation pour éviter que la femme se retrouve en situation de vulnérabilité. »
Pour rééquilibrer la situation, le conjoint qui travaille pourrait aussi envisager de cotiser au CELI ou au REER de la conjointe qui reste à la maison. Cela peut d’ailleurs être avantageux sur le plan fiscal au moment du décaissement à la retraite. Une femme qui veut se garantir un revenu stable à la retraite pourrait aussi considérer d’investir une part de ses actifs dans une rente viagère.
Du côté des entreprises
Les employeurs peuvent également agir pour aider les femmes à assurer leur sécurité financière. « De plus en plus d’entreprises réalisent que leurs actifs les plus importants sont leurs ressources humaines. Dans cet esprit, elles mettent en place des régimes collectifs et divers avantages sociaux, parfois des cours de préparation à la retraite. On sent qu’il y a une tendance marquée dans ce sens, mais il reste encore beaucoup de travail à faire », remarque Sylvain De Champlain, planificateur financier et président de De Champlain Groupe financier. Il souligne d’ailleurs qu’il a été démontré que des employés sécurisés sur le plan financier sont aussi plus productifs et plus loyaux envers leur employeur.
Si les régimes à prestations déterminées sont en voie de disparition, plusieurs grandes et moyennes entreprises offrent des régimes à cotisations déterminées. Les entreprises de dix travailleurs et plus ont aussi l’obligation d’ouvrir un régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) pour leurs employés. Enfin, le REER collectif est très répandu dans les petites structures, facile à administrer pour les employeurs et populaire auprès des employés.
Certains régimes permettent également de « racheter » des années de service, ce qui aide à compenser les périodes durant lesquelles on se serait absenté. « Et dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et où les employeurs cherchent à conserver leurs travailleurs expérimentés, on pourrait toujours considérer de demeurer plus longtemps sur le marché du travail. La retraite progressive, le travail à temps partiel ou à contrats sont des voies à explorer », note Sylvain De Champlain.
Recommandations pour les conseillers
Les conseillers qui reçoivent des couples devraient s’assurer d’inclure les deux conjoints dans la conversation. « En discutant avec ces derniers, on constate que, parfois, les deux n’ont pas les mêmes objectifs. On doit aussi travailler à mettre en place un plan de match pour atténuer les déséquilibres lorsque la femme quitte le marché du travail pendant un certain temps », indique Philippe Guérin. Joannie Magnan regrette toutefois que, bien souvent, les conseillers sont mis devant le fait accompli, car les clients viennent les consulter trop tardivement.
Amélie Laferrière rappelle également que 80 % des conseillers perdent la cliente lorsque le conjoint décède. « C’est pourquoi il est crucial d’établir une relation avec chacun des membres du couple et rester à l’écoute des clientes. Le conseiller a une réelle valeur ajoutée et peut les aider à mieux se préparer pour la retraite », conclut-elle.
« La première chose à faire est d’être consciente de ce à quoi on renonce, et trouver des façons de réussir à le récupérer au moins en partie et d’épargner. » — Joannie Magnan